Fukushima : au Japon, le gouvernement relance la production nucléaire, mais de nouvelles voies s’ouvrent déjà.

Plus d’un mois après avoir fermé ses derniers réacteurs, le Japon annonce la prochaine remise en service de deux unités de production atomique. La résistance s’organise, des projets alternatifs émergent.

Le 5 mai fut un jour de grande liesse au Japon. Ce jour-là, la dernière centrale nucléaire encore en service, celle de Tomari, à Hokkaido, dans le nord du pays, s’arrêtait pour raisons de maintenance, d’opérations de vérification de sécurité, comme tous les autres réacteurs du pays auparavant (hormis ceux qui avaient été endommagés par le séisme du 11 mars 2011).

Depuis, plus un seul kilowatt/heure produit et consommé au Japon ne provient de l’énergie nucléaire. A l’annonce de cet événement majeur, des milliers de Tokyoïtes ont salué ce « jour historique », paradé sous des banderoles « Nucléaire, non merci » et se sont réjouis de pouvoir « laisser à (leurs) enfants et  petits-enfants une Terre où jouer sans s’inquiéter » comme l’a raconté une retraitée, Yoko Kataoka, aux journalistes de l’Associated Press présents sur place. Pourtant, les Japonais ne s’éclairent pas à la bougie, continuent de faire tourner leurs machines à laver et autres appareils ménagers et utilisent de plus en plus, comme le reste du monde, leurs ordinateurs.

Une décision unilatérale

Sans l’avouer ouvertement, le gouvernement, sous la pression des opérateurs électriques et des collectivités locales, souhaitait toutefois relancer la production nucléaire d’électricité et disait pour cela attendre le résultat de stress tests et des opérations de vérifications de résistance des centrales. Et la décision fut prise et annoncée le samedi 16 juin : deux réacteurs exploités par Kansai Electric Power, dans l’ouest du pays, vont donc être redémarrés. « Nous avons décidé ce redémarrage et les préparatifs d’une relance effective sont en cours », ont expliqué le Premier ministre japonais, Yoshihiko Noda, et le ministre de l’Industrie, Yukio Edano, lors d’une conférence de presse. La décision a été prise au terme d’un long processus et à l’issue d’une réunion ministérielle au cours de laquelle le chef du gouvernement a reçu l’accord définitif des autorités locales (la municipalité d’Ohi et la préfecture de Fukui, province où se trouvent les deux réacteurs).

Le problème de cette décision est qu’elle intervient sans qu’aucune concertation n’ait eu lieu avec des autorités indépendantes de sûreté du nucléaire (toujours inexistantes), et uniquement pour considérations économiques sans que la sécurité de la population soit prise en compte, malgré les dénégations des autorités. « Il y a des opinions divergentes, mais le rôle des hommes politiques est de prendre des décisions, c’est d’autant plus important dans les cas où tout le monde n’est pas d’accord », a insisté Yukio Edano. Pour le Premier ministre, plus direct, il s’agit de « protéger le gagne-pain des gens » et « d’autres réacteurs seront remis en service ». Quant à Issei Nishikawa, gouverneur du département de Fukui – où sont implantées treize réacteurs – en charge de la supervision d’Ohi, il a déclaré le même jour : « J’ai approuvé le plan de redémarrage parce que les efforts du gouvernement en matière de sécurité m’ont été garantis et parce que cela permettra de générer de la stabilité pour nos activités industrielles. »

Pourtant,  la décision de redémarrer les réacteurs de la centrale d’Ohi s’appuie d’abord sur les stress tests, au sujet desquels, en février dernier, Haruki Madarame, président de la Commission de sûreté nucléaire, avait lui-même déclaré qu’ils ne pouvaient servir de référence pour l’évaluation de la sûreté des installations nucléaires et de leur redémarrage. Elle s’appuie aussi sur des normes provisoires de sécurité élaborées en trois jours en avril dernier par l’Agence de sûreté nucléaire et industrielle du ministère de l’Industrie (METI), dont le rôle est de… promouvoir le nucléaire. Elle s’appuie enfin sur les conclusions de la commission d’enquête sur l’accident de Fukushima et… qui ne sont pas encore rendues. Comme aucune autorité politique ne souhaite vraiment endosser la responsabilité de cette décision, c’est finalement le vote du conseil municipal d’Ohi qui est mis en avant. Problème : 50 % du budget de la ville est financé par des subventions et des ressources fiscales liées au nucléaire.

La possibilité d’une sortie définitive

Si les différents lobbies économiques semblent pour l’instant sur la voie d’emporter la partie, les antinucléaires n’ont pas encore dit leur dernier mot. Bénéficiant notamment du soutien du prix Nobel de littérature Kenzaburo Oe, du compositeur  Ryuichi Sakamoto ou encore du journaliste Satoshi Kamata, ils affirment, sur la foi d’un sondage, que 80 % de la population japonaise souhaite une sortie définitive du nucléaire. La pétition « Au revoir l’énergie nucléaire » qui vise à rassembler au moins 10 millions de signatures d’ici à la mi-juillet en avait déjà recueilli 7,23 millions le 13 juin.

Même sans centrales atomiques, la production d’électricité peut suffire, d’autant que des économies supplémentaires sont encore possibles, estiment les antinucléaires. Ils pointent les menaces que fait peser la catastrophe de Fukushima sur la santé et l’environnement. Une position soutenue par le professeur Andrew DeWit de l’Université Rikkyo de Tokyo, qui souligne que les opérateurs auront du mal à expliquer la nécessité de relancer les réacteurs si le pays passe le cap de l’été (une période sensible où les climatiseurs tournent à plein régime) sans pénurie d’électricité. Ce qui lui fait dire que « la sortie définitive du nucléaire est désormais possible ».

Concrètement, la pétition, ouverte aux étrangers, formule diverses exigences : la non-remise en marche, suivie du démantèlement, des réacteurs arrêtés, le gel des projets de construction, le renoncement aux surrégénérateurs en projet de même qu’à la mise en exploitation d’une usine de retraitement et enfin l’accélération de la transition vers les énergies renouvelables.

Le retour au thermique, revers de la médaille

En attendant, ce sont les centrales thermiques alimentées en pétrole, charbon et gaz naturel importés qui ont pris le relai de la production d’énergie pour l’ensemble du pays. Elles sont mises à très forte contribution ce qui a permis d’éviter toute rupture d’alimentation pour l’instant. Bien-entendu, les partisans du nucléaire serinent que ces centrales sont bien plus polluantes, et de ce point de vue ils n’ont pas tort. Et cette nouvelle configuration relance le débat sur la dépendance du Japon vis-à-vis des importations de ces énergies fossiles et sur le surcoût de production qui risque de faire grimper la facture des consommateurs. Pour sa part, le gouvernement qui entend donc remettre en service progressivement les centrales – mais devra aussi revoir ses ambitions de quota de production à la baisse – appelle pour l’instant à la réduction de la consommation et demande  aux consommateurs de ne pas trop tirer sur les climatiseurs afin d’éviter les coupures de courant. Les opérateurs pourraient ainsi programmer des coupures ciblées afin d’éviter une panne de grande ampleur. Le gouvernement a aussi demandé aux entreprises publiques et privées de réduire de  15 % leur consommation d’énergie.

Pendant l’été 2011 déjà, les employés de bureau avaient été invités à s’habiller plus légèrement, sans veste ni cravate, et les horaires de travail avaient été aménagés afin de consommer moins de courant, ce qui avait permis d’éviter des coupures brutales et massives. Des mesures d’économies auxquelles se prêtent volontiers les habitants d’un pays toujours traumatisé par le fantôme d’Hiroshima et de nouveau angoissé par l’atome après la catastrophe de Fukushima.

Une appréhension tout à fait légitime compte tenu des risques sismiques permanents au Japon et qui pose la question de ce qui a conduit les gouvernants à faire le choix de cette énergie au cours de la deuxième moitié du 20ème siècle. L’indépendance énergétique est bien sûr la réponse dans un pays qui a connu de nombreux conflits et qui s’est rapidement hissé sur le podium des puissances mondiales. Mais l’option du tout atomique est devenue désormais inenvisageable et le pays va devoir se tourner vers les énergies renouvelables. Ce qui ne va pas sans poser des problèmes dans cette période de troubles économiques. « S’il devait se passer totalement de ses centrales nucléaires, le Japon devrait investir 30 milliards d’euros par an pour produire de l’électricité à partir de combustibles fossiles et d’énergies renouvelables », estime à ce propos la Société française d’énergie nucléaire. Malgré une hausse des exportations, les comptes du commerce extérieurs japonais restent dans le rouge au mois de mai 2012, l’archipel dépendant toujours fortement de ses partenaires en matière d’énergie. Le volume de ses importations a ainsi grimpé de 9,3% sur un an.

Une centrale solaire bientôt à Fukushima

La solution viendra donc des énergies renouvelables et même les opérateurs en ont conscience. Toshiba a ainsi annoncé mercredi 20 juin la construction d’une centrale photovoltaïque d’une capacité totale de 100 mégawatts non loin du site de Fukushima, ce qui en fait le plus grand projet d’énergie solaire au Japon.

Le conglomérat, qui fabrique aussi bien des ampoules que des réacteurs nucléaires, va consacrer environ 30 milliards de yens (presque 300 millions d’euros) pour construire plusieurs grands parcs photovoltaïques à Minami Soma, sur la côte nord-est du Japon frappée de plein fouet par le séisme et le tsunami dévastateurs. Les habitants de Minami Soma, à seulement vingt-cinq kilomètres du site nucléaire de Fukushima, ont été forcés de fuir leur maison l’année dernière en raison de la mise en place d’une zone de sécurité après la catastrophe nucléaire.

Le projet de Toshiba dépasse celui du fabricant de machinerie lourde Kyocera et de la banque Mizuho , qui avaient annoncé plus tôt le projet d’une centrale solaire d’une capacité de 70 mégawatts. Toshiba a indiqué qu’il allait commencer la construction des parcs solaires cette année, et prévoit de démarrer l’exploitation en 2014. La décision de Toshiba intervient après que le gouvernement japonais a, par ailleurs, donné son feu vert à de nouvelles incitations économiques pour développer les énergies renouvelables.

Ces investissements sont à la hauteur de l’enjeu socio-environnemental qui attend inéluctablement tous les gouvernements du monde. Les Allemands l’ont bien compris qui ont récemment décidé de stopper toutes les centrales nucléaires du pays, les électeurs italiens aussi qui ont voté à une large majorité en 2011 la sortie du nucléaire pour ne citer que deux exemples proches de chez nous.

Reste à notre nouveau gouvernement, auquel participent les écologistes, à opérer cette prise de conscience et à se fixer des objectifs peut-être plus ambitieux que la seule fermeture du plus ancien réacteur français d’ici 5 ans, la poursuite du projet EPR et une vague augmentation de la part des énergies renouvelables en même temps que le ralentissement du programme nucléaire qui n’engagera probablement que les gouvernements suivants. On attendait mieux.

Source : agences de presse

Encadré

Le Japon de l’atome avant et après Fukushima

En mars 2011, le Japon comptait 54 réacteurs nucléaires au total produisant 30 % de l’électricité du pays. Après le 11 mars, date de l’accident de Fukushima-Daiichi, déclenché par un séisme et un raz-de-marée géant sur la côte est de l’archipel (des dizaines de milliers de morts), le pays s’est retrouvé avec 37 réacteurs. Sur les 17 qui ne fonctionnaient plus, 4 étaient dans la centrale de Fukushima. Les 13 autres étaient situés sur une zone aux risques sismiques jugés trop importants et ont volontairement été arrêtés, le temps pour les experts de faire certaines vérifications, d’évaluer leurs capacités de résistance ou de lancer des opérations de maintenance. Les autorités ont ensuite procédé à l’arrêt progressif des 37 réacteurs non-endommagés, le dernier encore en service étant celui de la centrale de Tomari qui a donc cessé son activité le 5 mais dernier. Depuis, aucun n’a encore repris sa production malgré l’annonce du gouvernement et près de 80 % de la population ne le souhaite pas.

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Un commentaire pour Fukushima : au Japon, le gouvernement relance la production nucléaire, mais de nouvelles voies s’ouvrent déjà.

  1. Jean Gimont dit :

    Depuis le 2 juillet, deux réacteurs ont effectivement été relancés. La rédaction.

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